Habitat essentiel du béluga à Cacouna : TransCanada pourra commencer ses travaux de forages exploratoires
Cette semaine, la Cour supérieure du Québec a rejeté la demande d’injonction de groupes environnementaux qui souhaitaient interdire à la compagnie TransCanada PipeLines (TCPL) d’effectuer des forages préliminaires à Cacouna, en plein cœur de l’habitat essentiel du béluga du Saint-Laurent. Essentiellement, la cour a jugé que les requérants n’ont pas démontré que la décision du ministre québécois de l’Environnement d’autoriser les forages était déraisonnable.
Ces travaux visent à vérifier l’état des fonds marins dans le but de construire un port pétrolier à Cacouna, d’où on expédierait par bateaux d’énormes volumes de pétrole brut dilué des sables bitumineux de l’Alberta – jusqu’à 1,1 million de barils à la fois – vers de plus lucratifs marchés internationaux. Ce projet s’inscrit dans le plus large cadre du projet Énergie Est, soit un oléoduc de 4 600 km qui acheminerait ce même pétrole brut de l’Alberta jusqu’au Québec et au Nouveau-Brunswick.
Nous sommes extrêmement déçus et préoccupés de cette tournure des événements, car au-delà des arguments légaux, il reste que la décision des deux paliers de gouvernement d’autoriser ces travaux fait fi de la meilleure science disponible sur la conservation des bélugas.
Nous déplorons entre autres que les experts sur les mammifères marins de Pêche et Océans Canada n’aient pas été consultés. Malgré la désignation du béluga comme espèce « menacée » en vertu de la Loi sur les espèces en péril du Canada, le gouvernement n’a pas demandé à ses scientifiques de se prononcer sur l’impact des travaux de forages, ce qui eût été la norme dans les circonstances.
Or ces mêmes scientifiques se sont prononcés en avril dernier alors que TCPL souhaitait réaliser des études sismiques dans le même secteur à Cacouna. Ils avaient alors écrit noir sur blanc que ces travaux devaient cesser, car ils seraient extrêmement préjudiciables aux bélugas.
Même la respectée Society for Marine Mammology, le plus grand regroupement mondial de scientifiques voués à l’étude des mammifères marins, exprimait récemment ses inquiétudes relativement au projet dans une lettre transmise notamment aux premiers ministres Harper et Couillard. Sa présidente, Helen Marsh, implorait nos deux paliers de gouvernement de consulter leurs experts. Malheureusement, cet appel est resté lettre morte.
Les bélugas du Saint-Laurent sont la population de bélugas la plus étudiée dans le monde. Les nombreuses études menées sur cette population par des scientifiques de haut niveau depuis trois décennies ont permis d’inscrire un important programme de rétablissement du béluga au registre public de la Loi sur les espèces en péril. Mais malgré tous les efforts consentis, on note un déclin de la population de bélugas du Saint-Laurent depuis quelques années. On ne dénombre aujourd’hui que quelque 900 individus.
Le projet de port pétrolier de Cacouna et toutes les activités qui en découleront – forage exploratoire et sondages sismiques, notamment – dans cet habitat essentiel du béluga posent d’immenses risques et menacent le rétablissement de cette population, particulièrement dans les environs immédiats de son habitat essentiel au large de Cacouna et Rivière-du-Loup.
Il ressort clairement des données disponibles et de l’opinion des experts que l’activité humaine – qu’il s’agisse de battage de pieux, de forage ou de toute autre activité bruyante – menée dans ces zones marines extrêmement importantes à cette période de l’année pour une population de bélugas menacée, constituerait un obstacle sans précédent au rétablissement de l’espèce.
Or, ces forages préparatoires sont prévus pour durer de 70 à 90 jours, au milieu de l’habitat essentiel du béluga et à la période la plus sensible de l’année où les mères convergent vers cet endroit riche en nourriture. Et même si la compagnie s’est engagée à s’assurer qu’aucun béluga ne sera présent à moins de 540 mètres des travaux, ces animaux sont extrêmement sensibles au bruit et il est à craindre qu’ils souffriront de toutes ces perturbations à leur environnement.
Comment se fait-il qu’au Canada, au Québec, en 2014, nous ne puissions avoir un débat éclairé, avec les scientifiques, sur ces enjeux qui nous concernent tous? Comment se fait-il que nos gouvernements acceptent de mettre de côté la meilleure science possible dans leur processus décisionnel?
Nous sommes en droit d’exiger de nos élus qu’ils entendent les scientifiques et tous les experts concernés avant de prendre une décision aussi lourde de conséquences. Espérons que cette consultation aura lieu prochainement, alors que le gouvernement du Québec doit se pencher sur les impacts environnementaux globaux du projet Énergie Est.