La vitesse tue : Rendons la navigation moins mortelle pour les baleines
Un rare rorqual commun, qui avait été vu en vie pour la dernière fois au large de la côte de Seattle en janvier dernier, a été retrouvé échoué deux mois plus tard à Pender Harbour, juste au nord de Vancouver.
Il avait moins de deux ans et faisait environ la moitié de la taille d’un rorqual commun adulte – c’est la deuxième plus grande espèce sur Terre, les adultes mesurent 26 mètres de long et pèsent 80 tonnes en moyenne. Il a souffert d’un traumatisme contondant, une blessure habituellement causée lors d’une collision avec un navire.
Les collisions avec les navires – cause probable de la mort de ce membre d’une population de rorqual commun considérée menacée par la Loi sur les espèces en péril du Canada – sont un danger beaucoup trop commun dans le Pacifique, où le trafic maritime est très élevé. Ce danger est renforcé par des navires toujours plus gros, plus rapides et plus bruyants et il est au cœur de la récente étude du WWF Trafic maritime et vitesse dans les habitats des cétacés sur la côte ouest canadienne (Shipping Traffic and Speed in Cetacean Habitats on Canada’s Pacific Coast, en anglais seulement).
Les citoyen.ne.s de tout le pays profitent et dépendent de plus en plus du transport maritime commercial. En fait, ce type de transport a triplé depuis vingt ans et on s’attend à ce que cette tendance continue avec la croissance des commandes en ligne et des couloirs commerciaux. Mais même à l’heure actuelle, plus de 4000 grands navires – ainsi que 50 traversiers et 300 000 bateaux récréatifs – transitent chaque année par la zone canadienne du Pacifique.
Réduire les effets des bateaux rapides sur les baleines
Les eaux canadiennes du Pacifique abritent 11 populations saisonnières ou régulières de baleines dont l’état de conservation est préoccupant, telles que le rorqual commun, le rorqual bleu, le rorqual boréal, la baleine noire du Pacifique Nord et l’épaulard résident du Sud.
Les grands navires rapides posent un risque particulièrement élevé de collision avec ces mammifères de grande taille puisque les baleines peuvent être difficiles à apercevoir de loin. Même quand les pilotes peuvent voir clairement un animal, il n’est pas toujours possible pour la baleine ou le bateau de s’enlever du trajet de l’autre. Les baleines ainsi heurtées sont souvent tuées, et si elles survivent, de graves blessures peuvent affecter leur capacité à nager, s’alimenter et se reproduire.
Les grands moteurs et les hélices à rotation vive de ces navires rapides peuvent aussi causer de fortes vibrations et du bruit sous-marin considérable. Les baleines et les dauphins dépendent des sons pour sentir leur environnement, trouver leur nourriture et communiquer, et ce bruit issu des bateaux peut entraver ces activités vitales et causer un stress indu.
Les problèmes cumulés de manque de nourriture, de pollution et de dégradation de l’habitat, des effets du trafic maritime et de la vitesse des navires ont pour conséquence le déclin des populations.
Prioriser des zones à haut risque
Afin de protéger les épaulards résidents du Sud des collisions avec les bateaux et de la pollution sonore, un programme mené par le Port de Vancouver a mis en place plusieurs zones de ralentissement volontaire des navires. Au cours des deux dernières années, entre 80 et 90 % des pilotes ont choisi de réduire la vitesse entre 11 et 15 nœuds. Cela a réduit l’intensité du bruit au sein de l’habitat essentiel des épaulards, réduisant donc le masquage de l’écholocalisation et améliorant les occasions de se nourrir de ces baleines en voie de disparition.
Le haut taux de participation à cette mesure volontaire démontre que les mesures de ralentissement représentent une demande raisonnable et que leur mise en place est faisable. Néanmoins, il n’y a encore que peu ou pas de mesure de gestion du trafic maritime le long du reste de la côte pacifique canadienne, particulièrement dans le nord de la Colombie-Britannique.
Dans ces régions non gérées, la connaissance des zones spécifiques où se chevauchent le trafic maritime et les habitats des baleines peut aider les gouvernements, les ports et les communautés à prioriser et à mettre en place des étapes pour réduire les impacts sur les espèces en péril et soutenir celles qui se rétablissent.
C’est ce que propose notre document de travail, en faisant se chevaucher les données de suivi des navires, qui nous permettent de comprendre les activités et les vitesses de différents types de bateaux, avec les régions que nous savons être utilisées par les baleines en péril.
La baleine à bosse et l’épaulard résident du Nord, par exemple, fréquentent des zones autour de l’entrée Dixon du port de Prince Rupert, où il y a un lourd trafic de vraquiers et de porte-conteneurs. Les rorquals communs, les baleines à bosse et les épaulards migrateurs utilisent la région de la côte centrale, le passage intérieur et l’entrée du port de Kitimat durant les mois d’été, quand les bateaux de croisière et les traversiers sont légion. Le trafic de navires dans ces deux régions doit augmenter dans les années à venir, accroissant du même coup les menaces pesant sur les populations de baleines en rétablissement.
Quelles sont les prochaines étapes?
La bonne nouvelle, c’est que cette étude nous montre quels sont les secteurs et les types de bateaux qui ont d’abord besoin de notre attention – et nous savons déjà ce qui fonctionne pour réduire les collisions et le bruit dans l’habitat des baleines.
Les gouvernements et les autorités portuaires peuvent adopter des mesures comme le déplacement du trafic maritime en dehors des habitats essentiels et l’application des limitations de vitesse permanentes ou saisonnières (de moins de 10 nœuds), et encourager la conception de navires plus efficaces ayant des carburants plus propres et des moteurs plus silencieux.
L’exécution de ces mesures, en commençant dans les principaux ports et la juridiction des 12 milles nautiques, peut avoir des effets intéressants pour rendre les eaux à fort trafic maritime plus sécuritaires pour les baleines comme le rorqual qui est mort en mars.
La triste réalité est que si cet individu a été trouvé, plusieurs autres ont été tués sans que nous le sachions. La menace de l’augmentation du trafic rapide ne peut plus être ignorée. Les ports et les gouvernements canadiens doivent protéger ces doux géants des navires qui utilisent leurs eaux, avant qu’il ne soit trop tard.