Le milieu du tourisme a besoin d’un plan de gestion et de protection des zones marines canadiennes
Article initialement paru dans The Hill Times
Par Andrew Dumbrille, directeur des programmes Océans et Arctique, WWF-Canada, et Randy Burke, directeur général de Bluewater Adventures Ltd.
On vient de partout dans le monde au Canada jouir des grands espaces et admirer les beautés de la nature. De fait, nous vivons dans un environnement magnifique et généreux, et on comprend bien que nos paysages – terrestres et marins – à couper le souffle et nombreuses régions encore inhabitées et sauvages attirent tant de touristes chez nous.
Océan Pacifique et côte de l’île Moresby, archipel Haida Gwaii, Colombie-Britannique.
© Kevin McNamee / WWF-Canada
Mais le privilège de vivre dans un si bel endroit ne vient pas seul, car il faut aussi en prendre soin. Autrement dit, il faut prévoir et planifier pour maintenir la vitalité de notre environnement, préserver les endroits qui servent d’habitat fauniques et maintenir l’intégrité et la vitalité de ces écosystèmes. On a fait un assez bon boulot sur la terre ferme, mais en milieu marin c’est une toute autre histoire et nos océans auraient bien besoin que nous prenions les choses en main.
D’aucuns – malheureusement nombreux – croient encore que la conservation de l’environnement ne peut se faire qu’aux dépens de l’économie. Voyons ça. Les secteurs d’activité océaniques contribuent 39 milliards de dollars annuellement à l’économie canadienne, assurent des emplois à 329 000 Canadiens, et représentent des possibilités de développement dans plus de 1 500 collectivités côtières et dans l’ensemble du pays. Évidemment, on doit veiller à ce que ces secteurs demeurent florissants et continuent de donner de l’emploi et de soutenir les collectivités. Ce qu’il faut établir clairement, c’est que la planification et la protection marines ne menacent pas ces activités. Au contraire, la menace réside dans l’absence de vision, et donc de planification, à long terme.
De fait, les zones marines protégées et les aires marines de conservation peuvent contribuer grandement aux économies locales et nationale, comme elles en ont d’ailleurs déjà fait la démonstration.
Prenons l’exemple de l’aire marine nationale de conservation de Gwaii Haanas, au large de la Colombie-Britannique, créée par le gouvernement fédéral en 2010. Cette aire protégée de 3 500 km2 entoure la réserve de parc national et le site du patrimoine haida de Gwaii Haanas, et sa présence même atteste le lien inextricable entre la terre ferme et l’océan et tous les éléments du complexe écosystème ainsi créé. Les eaux du plateau de la Reine-Charlotte atteignent 2 500 mètres de profondeur, et leur environnement sous-marin unique abrite des milliers d’espèces marines – des minuscules invertébrés formant la base de la chaîne alimentaire aux immenses cétacés qui s’en nourrissent.
Couple d’étoiles ocrées (Pisaster ochraceus) bien installées sur un rocher, en compagnie d’algues, passage de Burnaby, Réserve de parc national de Gwaii Haanas, archipel Haida Gwaii, Colombie-Britannique.
© National Geographic Stock / Michael Melford / WWF-Canada
Des touristes venus des quatre coins de la planète viennent en Colombie-Britannique pour visiter cet écosystème fabuleux, dans l’espoir d’apercevoir l’une ou l’autre des centaines d’espèces de poissons et d’oiseaux marins qui y habitent en compagnies des morses, dauphins, marsouins et baleines – dont la baleine à bosse, l’épaulard, le rorqual commun et le petit rorqual. En 2005, le tourisme et les activités récréatives en zones marines ont contribué un montant estimatif de 1,82 milliard de dollars au PIB de la province, et ont donné de l’emploi à plus de 32 000 personnes – cela représente près de 30 % du PIB de la province découlant du tourisme, et 27 % des emplois de ce secteur. En 2010, la Colombie-Britannique accueillait 514 329 pêcheurs à la ligne, qui ont capturé ~4 millions de poissons et ont dépensé quelque 1,1 milliard de dollars pendant leur séjour.
Cependant, leur pouvoir d’attraction touristique n’est pas le seul apport des aires marines protégées à l’économie, car elles servent également de « banques de poissons » en offrant un havre de paix aux espèces marines et en permettant ainsi aux populations décimées de se rétablir. Le meilleur exemple de cela en Colombie-Britannique, c’est le saumon du Pacifique sans lequel les épaulards, morses et ours que les touristes aiment tant venir voir, se trouveraient menacés.
La réserve de Gwaii Haanas est donc un énorme pas dans la bonne direction – conservation et économie allant de pair – mais il y a encore beaucoup à faire pour assurer une protection adéquate des habitats océaniques au Canada. La Colombie-Britannique doit se doter d’un plan intégré de gestion marine qui favorisera le développement responsable et durable de l’océan ET la protection de la valeur écologique qu’il recèle et dont tant de revenus dépendent.
C’est précisément ce que vise le partenariat de planification marine (Marine Planning Partnership) en cours entre les Premières Nations et la C.-B., soit gérer le développement de manière à soutenir l’économie sans perdre de vue l’importance de maintenir la santé de l’écosystème marin.
Vagues de l’océan Pacifique venant frapper le rivage de l’île Moresby, archipel Haida Gwaii, Colombie-Britannique. © Kevin McNamee / WWF-Canada
La stabilité et la croissance à terme de l’économie touristique marine de la C.-B. dépendent directement de la protection des environnements marins et des efforts qui seront déployés afin d’en préserver la vitalité. Conclusion? Ce sont aussi des emplois et des économies que nous protégeons en choisissant de préserver des habitats marins uniques et emblématiques, en Colombie-Britannique ou ailleurs dans le monde.
Randy Burke est le directeur général de Bluewater Adventures Ltd, chef de file du tourisme faunique et des croisières en milieux sauvages de la Colombie-Britannique, qui célébrera ses 40 ans d’activité cette année. L’entreprise exploite trois yachts, et propose des « safaris fauniques » d’une semaine partout dans le monde. Andrew Dumbrille est directeur du programme national de gouvernance des océans, au bureau d’Ottawa du WWF-Canada.