L’océan Arctique doit rester glacial
La communauté internationale s’associe pour la protection des eaux arctiques
L’Arctique a dominé la scène à la 7e session du sous-comité sur la prévention et la réponse à la pollution (PRP) de l’Organisation maritime internationale (OMI) qui a eu lieu à Londres, en Angleterre, du 17 au 21 février 2020. L’OMI est l’agence onusienne spécialisée dont la responsabilité couvre la sûreté et la sécurité de la navigation et la prévention de la pollution marine par les bateaux.
La délégation du WWF a suivi de près l’ordre du jour de la 7e PRP, particulièrement les sections sur l’interdiction traitant du mazout lourd en Arctique, du rejet d’eaux usées et d’eaux grises, et des effluents liquides des épurateurs.
L’interdiction du mazout lourd face à un obstacle
Quelques jours avant la 7e PRP, le Canada a annoncé son appui à l’interdiction du fioul lourd en Arctique, devenant ainsi le septième des huit pays arctiques à appuyer l’interdiction. Lorsque les bateaux brulent du mazout lourd, cela produit du carbone noir qui fait fondre la banquise arctique et accélère le réchauffement local. S’il est répandu dans les eaux froides des pôles, ce fioul y persiste pendant des semaines, avec des impacts dévastateurs sur la vie marine et les communautés côtières.
Tous les états de l’Arctique à l’exception de la Russie sont unis pour la mise en place d’une interdiction en 2024. Pour atteindre ce consensus, les états ont inclus une dispense qui exempte beaucoup de bateaux de l’interdiction, permettant à une grande partie du trafic en Arctique de continuer à utiliser et à transporter du mazout lourd jusqu’en 2029.
« C’est une clause d’exclusion décevante, mais les états n’ont pas à accorder cette dispense. Nous devons nous assurer que les pays de l’Arctique qui ont fait le compromis de retarder l’interdiction n’utilise pas la dispense et insistent pour que les navires se conforme à l’interdiction d’ici 2024, » a affirmé Andrew Dumbrille, le spécialiste sénior en navigation durable pour le WWF-Canada.
Avant qu’une décision finale soit prise sur l’interdiction au Comité de la protection du milieu marin (MEPC) 76 en octobre prochain, l’état doit améliorer les délais de mise en œuvre et s’assurer que les communautés autochtones et locales en Arctique sont protégées d’un éventuel déversement.
L’interdiction de fioul lourd à l’OMI est un enjeu très suivi par les Inuit.e.s, dont les voix sont vitales pour la protection de l’Arctique.
« J’étais contente de participer à la rencontre et de voir les pays se mettre d’accord sur l’interdiction de l’utilisation du mazout lourd en eaux arctiques. Je connais davantage les bateaux qui visitent nos communautés du Nord du Québec. J’ai aussi hâte de raconter aux autres Inuit.e.s du Nunavik l’importance d’être attentif.ve à la protection des eaux arctiques. La chasse et la pêche en Arctique occupe une place centrale dans notre culture. Les Inuit.e.s doivent donc savoir que les navires utilisant du mazout lourd pourraient mettre en danger les mammifères et les autres animaux, » nous a dit Akinisie Novalinga, une jeune Inuite de Puvirnituq qui a assisté à la 7e PRP à Londres.
Quand la pollution atmosphérique se transforme en pollution marine
Une des façons avec lesquelles l’industrie de la navigation a essayé de gérer le problème de la pollution due au mazout lourd est par l’utilisation d’épurateurs (aussi connus comme systèmes d’épuration des gaz d’échappement, pour la fonction qu’ils remplissent). Ils retirent une partie des polluants des émissions atmosphériques des bateaux, mais ils rejettent ensuite ces contaminants dans l’océan, avec un impact négatif sur les écosystèmes marins et les communautés côtières. Les états côtiers comme Singapour, la Chine et la Malaisie ont interdit l’usage des épurateurs suite aux préoccupations relevant des impacts des rejets sur les environnements côtiers et la sécurité alimentaire locale.
Durant la 7e PRP, le besoin de mesures régionales a été souligné pour limiter les impacts des effluents d’épurateurs, incluant la distance à partir de la côte, les régions polaires, les aires culturellement importantes et les écorégions particulièrement sensibles. Ces mesures sont vitales, surtout lorsqu’on considère les impacts potentiels de ces rejets d’épurateurs sur les mammifères marins en voie d’extinction.
Les épurateurs ne sont pas une solution, et ils sont particulièrement problématiques en eaux arctiques, puisque leurs effluents acides peuvent potentiellement nuire à l’écosystème marin local. Rejeter des solutions acides dans les environnements marins de hautes latitudes accélère l’acidification locale, laquelle est déjà en hausse à cause de la plus grande capacité de l’eau froide à absorber le CO2 atmosphérique.
Normes internationales en zone grise pour les eaux grises
Comme si les enjeux précédents ne suffisaient pas, les eaux grises (qui sont les eaux usées de la vie sur un bateau, à l’exclusion des toilettes) représentent une menace grandissante pour la vie marine et les communautés qui vivent de l’océan, à mesure qu’augmente le trafic maritime. Les eaux grises sont pleines de bactéries, de métaux, de pathogènes, de détergent, de plastiques, d’hydrocarbures et d’excès de nutriments, qui sont tous nuisibles à la vie marine sous plusieurs aspects différents.
Malheureusement, une proposition présentée à la 7e PRP qui incluait des normes de traitement des eaux grises dans l’agenda de la réglementation sur les eaux usées n’a pas été acceptée.
« L’importance de réglementer les eaux grises à l’échelle internationale était reconnue par certains états membres. Les discussions en cours doivent inclure les eaux grises dans la gestion des eaux usées à cause de la variété des risques qu’elles présentent pour les espèces marines et les collectivités qui dépendent d’océans sains, et parce que la quantité rejetée augmente d’année en année, » a ajouté Sam Davin, spécialiste en conservation et en trafic maritime du WWF-Canada.
Évènement Imavut (« nos eaux » en inuktitut)
Le Conseil circumpolaire inuit (CCI) a tenu une réception culturelle extraordinaire le premier soir des rencontres de la 7e PRP.
On a pu y goûter à des mets inspirés de l’Arctique, y voir exposée et présentée une sculpture destinée au secrétaire général et entendre un chant de gorge par Cynthia Pitsiulak et Annie Aningmiuq, qui ont ravi la soirée. L’évènement Imavut n’était que le lancement de la présence inuit à l’OMI. Le CCI a complété sa demande de statut consultatif permanent à l’OMI, ce qui signifie que si elle est acceptée, les Inuit.e.s auront leur propre siège aux rencontres de l’OMI.
« Notre présence à l’OMI est importante, puisque des sujets relatifs à notre environnement, notre terre, l’eau et la glace font constamment partie des discussions. Nos vies sont profondément connectées à l’écosystème marin et lui à notre culture, notre subsistance, notre mode de vie. Le CCI va continuer de mobiliser l’OMI sur des enjeux de transport maritime au Nunaat (Terre des Inuits, en inuktitut), » a souligné Lika Koperqualuk, vice-présidente du Conseil circumpolaire inuit du Canada. Une décision sur l’approbation du statut consultatif permanent du CCI par le Conseil de l’OMI viendra probablement vers le milieu de l’année et des pays comme l’Australie, le Canada, le Brésil, la France et l’Inde peuvent appuyer les voix autochtones à l’OMI en votant en faveur de la demande du CCI.