Voici comment les feuilles de menthe et les citronniers aident la conservation des éléphants au Népal
Qui n’aime pas l’odeur fraiche de la menthe? Ou le vif parfum d’agrume d’un citron tout juste cueilli de l’arbre? Les éléphants d’Asie, en fait, ne les aiment pas – et c’est une bonne chose!
Dans la région Terai Arc au Népal, qui est connue pour sa riche diversité écologique ainsi que pour abriter des espèces en péril comme des tigres, des rhinocéros, des léopards des neiges et des éléphants, il y a une conversation en cours sur la façon d’équilibrer les besoins de subsistance des humains et l’urgence de protéger les habitats pour les espèces en péril.
Pour les éléphants d’Asie, le plus gros mammifère terrestre du continent qui possède un appétit aussi grand que son aire de répartition, une des solutions pour protéger les récoltes est de trouver ce qu’ils n’aiment pas manger et d’en planter stratégiquement davantage.
Des rencontres rapprochées
On estime qu’il reste aujourd’hui moins de 250 éléphants d’Asie en liberté au Népal.
Depuis les années 1960, les éléphants du Népal ont perdu 80 % de leur habitat naturel au profit du développement humain, ce qui signifie qu’ils se retrouvent souvent à marcher sur des terres agricoles dans leur recherche de nourriture.
S’approcher trop près des villages est dangereux autant pour les éléphants que pour les humains : avec leur appétit et leur corps énorme, les éléphants peuvent facilement détruire un hectare de récolte en une nuit, ruinant le moyen de subsistance d’une famille. Ils peuvent aussi attaquer des humains qui s’approchent trop et les morts – d’humains causées par des éléphants et d’éléphants causées par des humains en représailles – ont créé des situations délicates dans plusieurs communautés rurales de la région.
« Il y a une corrélation forte entre la fragmentation de l’habitat des éléphants et la perte de récolte, » affirme Rinjan Shrestha, expert principal des espèces asiatiques au WWF-Canada. Aujourd’hui, les conflits entre humains et éléphants demeurent la menace numéro un de la déjà petite population népalaise d’éléphants d’Asie. « La réponse, dit Shrestha, est de connecter et de restaurer les habitats historiques si on veut accroitre le nombre d’éléphants. »
La restauration d’habitat est la meilleure façon de garder les éléphants et les humains en sécurité. La protection des sentiers des éléphants, aussi appelés couloirs , est la clé pour assurer qu’ils puissent utiliser leur vaste habitat varié en réduisant les rencontres dangereuses avec les humains. Et cela signifie que les éléphants peuvent continuer leur important travail d’ingénierie des écosystèmes dans les régions qu’ils traversent.
Les clôtures traditionnelles représentent une réponse évidente largement utilisée au Népal, où les éléphants sont connus pour piller des récoltes. Mais elles présentent aussi des défis. Les clôtures électrifiées à haute tension sont reconnues pour blesser sérieusement et même tuer des éléphants, d’autre bétail et des humains. Elles sont aussi laborieuses à construire et à entretenir, elles exigent des ressources difficiles à obtenir pour les réparations et les mises à niveau.
De plus, les éléphants sont intelligents. Ils peuvent rapidement déceler les vulnérabilités d’une clôture, comme les poteaux de bois non électrifiés, qu’ils mettent souvent à terre.
C’est un problème qui soulève une délicate question de conservation : comment mettre les communautés et leur économie à l’abri tout en préservant autant que possible l’habitat naturel des éléphants? En d’autres mots, comment limiter les déplacements des éléphants sans les enfermer?
Des clôtures sensorielles
Pour certaines communautés qui travaillent sur leurs stratégies de conservation, il n’est pas question de se débarrasser des clôtures. Il s’agit de préférence de les faire pousser, littéralement, à partir de la terre.
Les clôtures biologiques ou barrières végétales (soit la pratique de faire des clôtures à base d’espèces vivantes) sont une des façons de guider les éléphants d’Asie à travers leur habitat sans qu’ils soient tentés de s’aventurer dans les cultures.
Souvent, ce type de clôture implique de planter des cultures à croissance rapide qui éloignent naturellement les éléphants, car elles ne leur plaisent pas au gout, sans toutefois qu’elles leur soient nocives.
Des espèces comme les citronniers sont particulièrement efficaces, parce qu’ils poussent densément, s’entretiennent facilement et dégagent un arôme distinct à cause de leur forte concentration en huiles essentielles.
Et puisque les éléphants maitrisent le langage des odeurs, la senteur vive et souvent entêtante des agrumes est un signal de se déplacer sans que la clôture pique leur curiosité à propos de ce qu’il pourrait y avoir de l’autre côté. D’autres plantes comme la menthe, les piments et la camomille ont aussi prouvé leur efficacité à éloigner les éléphants. Les résultats montrent que les éléphants sont redirigés par l’habitat plutôt que par des objets artificiels et parfois hostiles implantés en son sein.
Mais il y a d’autres avantages aux barrières végétales : elles présentent un avantage agricole additionnel pour les agriculteur.rice.s et les propriétaires foncier.ère.s qui peuvent vendre cette récolte à profit durant la saison morte.
Dans le couloir Khata, qui dans les faits sert de « voie rapide » transfrontalière entre le Népal et l’Inde, et qui par conséquent voit une concentration de conflits entre humains et espèces, le WWF travaille directement avec les agriculteur.rice.s locaux.ales afin de cultiver une espèce locale de menthe dont on extrait une huile essentielle. Plantée stratégiquement, la menthe éloigne efficacement les éléphants sans nécessiter de clôture électrique. Depuis le début de ce travail en 2002, plus de 12 usines de distillation de menthe se sont installées et plus de 300 foyers s’impliquent dans la culture de menthe dans la région. Les agriculteur.rice.s peuvent aussi tirer des bénéfices de leur solution de conservation en récoltant sélectivement et en vendant leur récolte pour bonifier leurs revenus et soutenir l’économie locale, favorisant ainsi la résilience de la communauté et la conservation.
Mais la solution présente ses propres défis. D’une part, les fluctuations de la valeur marchande de ces récoltes alternatives peut parfois dissuader les agriculteur.rice.s de les planter en quantité suffisante pour éloigner les éléphants. D’autres facteurs, dont les effets dommageables de moussons hâtives et des besoins d’irrigation intensive de certaines cultures répulsives peuvent aussi être dissuasifs.
Pourtant, les barrières végétales sont prometteuses au Népal : les communautés croient que la stratégie d’éloignement sera efficace à longue échéance et que les bénéfices économiques potentiels pour les agriculteur.rice.s sont encourageants. Son succès a aussi aidé à replacer les agriculteur.rice.s comme des collaborateur.rice.s plutôt que des opposant.e.s dans le contexte de la conservation des éléphants, et à les encourager à voir les éléphants comme des voisins plutôt que des nuisances.
La partie importante est d’assurer que les barrières végétales sont plantées aux bons endroits, pour que l’habitat des éléphants ne soit pas davantage fragmenté et que leurs sentiers ne sont pas entravés. En raison de la grande étendue de leur aire de répartition – qui s’étend sur des milliers de kilomètres carrés – les barrières végétales peuvent prendre différentes formes selon le climat et le sol de la région. Et parce que les éléphants retournent souvent dans les mêmes zones, les barrières peuvent être adaptées au comportement d’individus précis; en tenant compte des préférences et les aversions particulières des éléphants pour la planification spatiale des cultures, on peut rompre le schéma des conflits.
Conserver notre élan
Cette stratégie n’est qu’un volet d’une initiative plus large de conservation des éléphants actuellement en cours dans la région du Terai Arc au Népal, où, en partenariat avec le WWF, les communautés travaillent en association avec les gouvernements et les chercheur.se.s. Ensemble, nous surveillons le nombre d’éléphants et leur comportement en utilisant la technologie satellite, pour protéger l’habitat existant des perturbations, pour compenser les communautés qui ont été affectées par les conflits entre humains et éléphants et pour former les résident.e.s à l’intendance des initiatives de conservation.
« Nous commençons à voir un rayon d’espoir dans nos tentatives de sauver les éléphants en liberté au Népal grâce à l’approche globale de conservation adoptée par le pays, dit Shrestha. Il est plus que jamais temps de fournir des efforts concertés pour conserver cet élan. Une manière prometteuse d’y arriver est de s’attaquer directement à un des enjeux fondamentaux – les conflits entre humains et éléphants – en nous assurant du bienêtre des communautés locales et des éléphants. »
Il ne reste que 250 éléphants d’Asie au Népal, mais votre appui peut aider à restaurer les habitats qui verront leur population croitre.