Pourquoi il est nécessaire d’agir contre la pollution par le bruit sous-marin
Le paysage sonore naturel de nos océans – comme le bruit des vagues et du vent, les vocalises musicales des baleines et les autres sons de la vie marine – est noyé dans le bruit produit par les activités humaines.
Nous avons demandé à Hussein Alidina, spécialiste principal de la conservation marine au WWF-Canada, de nous parler du bruit sous-marin et des raisons pour lesquelles il est essentiel que le Canada agisse maintenant pour baisser le volume.
La plupart d’entre nous connaissons la pollution atmosphérique et marine, mais pas la pollution par le bruit sous-marin. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ça consiste?
En termes simples, un polluant est un élément introduit dans l’environnement en plus grande concentration que ce que l’on y trouve dans son état naturel, et qui lui est nocif. Nous associons souvent la pollution à des composés chimiques, mais le bruit provenant des humains, bien que ce ne soit pas un contaminant chimique, est aussi un élément introduit à l’environnement marin et ayant des effets négatifs.
Dans sa forme aigüe, le bruit excessivement fort peut endommager l’ouïe des animaux. Le bruit constant et envahissant peut agir à la manière d’un smog épais qui s’installe sur le paysage sonore naturel et interfère dans la façon dont les espèces marines perçoivent et utilisent les sons pour leur survie.
Quelles sont les espèces les plus affectées par le bruit sous-marin?
Nous suspectons que la majorité des espèces marines – des minuscules crevettes aux imposantes baleines bleues – sont affectées de quelque façon par la pollution par le bruit sous-marin, parce qu’elles dépendent des sons pour percevoir leur environnement, naviguer, trouver de la nourriture, éviter les prédateurs ou communiquer. Les cétacés (les baleines et les dauphins) sont parmi les espèces marines les plus étudiées en ce qui a trait à la pollution par le bruit sous-marin. Nous en connaissons donc beaucoup plus à propos des effets que cette pollution a sur eux. Les chercheur.se.s tournent maintenant leur attention vers les poissons et les invertébrés.
De quelle façon le bruit sous-marin nuit-il à la vie marine?
Les sons excessivement forts, comme les explosions sismiques utilisées pour l’exploration pétrolière et gazière, peuvent endommager les organes auditifs des cétacés et entrainer une perte de l’ouïe temporaire ou permanente. Des bruits continus ou chroniques peuvent masquer la communication des animaux et affecter leur capacité à entendre et à éviter les dangers. Les baleines risquent davantage d’entrer en collision avec un navire ou d’être séparées de leurs petits et de leur groupe.
De plus, le bruit sous-marin peut compromettre la capacité des baleines à utiliser l’écholocalisation pour se situer dans leur environnement et trouver de la nourriture. Il a été documenté que les environnements marins bruyants causent une augmentations des hormones associées au stress chez les baleines à fanons.
Quelles sont les principales sources de bruit sous-marin?
La plupart des activités humaines sur ou sous l’eau génèrent du bruit. Les principales sources de pollution par le bruit sous-marin sont les navires, les levés sismiques qui consistent à projeter des ondes sonores dans l’océan pour cartographier le fond marin, les sonars, ainsi que la construction et les opérations sous-marines comme l’exploitation minière en haute mer, ainsi que l’extraction et le traitement du pétrole et du gaz.
Quelles régions du Canada sont les plus touchées par la pollution par le bruit sous-marin?
Partout où il y a de l’activité humaine sur ou sous l’eau, il y a de la pollution par le bruit. En outre, le bruit se déplace, de sorte que même s’il est généré à un endroit, ses effets peuvent être ressentis à des centaines, voire des milliers de kilomètres de distance.
Le niveau de bruit est déjà élevé dans des endroits comme la mer des Salish, le golfe du Saint-Laurent, la baie de Fundy et les zones au large de la côte est où l’on pratique activement l’exploration et la production pétrolières et gazières. En comparaison, les eaux de l’Arctique et du nord de la Colombie-Britannique sont relativement calmes, mais on y prévoit une augmentation de la navigation et de l’activité industrielle. En seulement sept ans, la quantité de bruit sous-marin dans l’océan Arctique a doublé à cause du trafic maritime.
Comment savoir ce qui est trop bruyant?
Nous sommes préoccupé.e.s par le volume du bruit, mais aussi par sa durée et sa nature. Par exemple, les sons sourds et soudains des explosions sismiques ou le battage de pieux affectent les espèces différemment que les sons continus. Les scientifiques ont pu définir les seuils de bruits pour les mammifères marins, c’est-à-dire à quel point il y a perte d’audition temporaire ou permanente et, dans certains cas, des changements comportementaux. Mais il est plus difficile de comprendre et d’établir des limites à l’exposition chronique au bruit.
De quelles façons peut-on réduire ou gérer les niveaux de bruit?
La technologie peut nous aider à gérer le bruit. Par exemple, nous pouvons modifier et améliorer les hélices ou utiliser des rideaux de bulles autour du battage de pieux et de la construction. Nous savons aussi que des mesures concernant les activités de navigation, comme le ralentissement des navires, peuvent vraiment réduire la quantité de bruit. Si la technologie peut aider, les activités génératrices de bruit intense devraient tout de même être interdites dans les habitats vulnérables ou essentiels.
Le Canada prépare un plan national sur le bruit dans les océans. Qu’attendez-vous de ce plan?
Un plan national devrait inclure des cibles de réduction du bruit, des seuils et des mécanismes de suivi et d’application. Il devrait également cerner les activités reconnues pour leurs répercussions disproportionnées sur les paysages sonores et accorder la priorité à la sauvegarde des aires marines protégées et des habitats essentiels pour les espèces en péril.
Nous devons également nous concentrer sur la restauration et la préservation des paysages sonores naturels. Dans les endroits où le bruit produit par les humains domine déjà, il est impératif que nous fixions des objectifs pour de réduction. Dans les régions qui commencent à voir le développement rapide de projets industriels et des réseaux de transport maritime, il est tout aussi important que nous empêchions le niveau de bruit d’atteindre des seuils qui nuisent aux espèces marines et à leurs habitats.
Pourquoi faut-il agir maintenant?
Si vous prêtez attention aux signes, ils sont extrêmement clairs. Dans certaines parties de l’océan, le bruit est plus de cent fois plus fort qu’il ne le serait naturellement. Les effets de la pollution par le bruit sous-marin sont déjà visibles chez les mammifères marins bien étudiés, et on voit une augmentation de la documentation pour une myriade de poissons, d’invertébrés et d’autres espèces.
Compte tenu de l’intensification de l’activité humaine dans l’océan, il n’y a pas de temps à perdre.